Au XIXe siècle, la croissance des échanges commerciaux modifie considérablement le visage des grandes villes-ports. Dans un contexte de mondialisation s'affirmant, les sociétés urbaines subissent de profondes mutations avec l'arrivée massive d'individus extérieurs acteurs du dynamisme économique. Concernant le port du Havre, l'identité transatlantique qui s'y développe au XIXe siècle implique une intensification des échanges et une croissance des flux de biens et de personnes. Dès lors, de nombreux individus de passage traversent la ville pour des durées plus ou moins longues en fonction des besoins mais également en fonction du contexte. Par exemple, les durées de séjour des émigrants ou des marins diminuent progressivement au cours du XIXe siècle. La recherche de la rentabilité pousse les compagnies de navigation à accélérer le transfert des migrants et à intensifier la rotation des navires. Pour un marin du commerce, les escales sont beaucoup plus courtes à la fin du siècle qu'au début. Les marins constituent logiquement des acteurs de première importance et leur présence dans la ville-port s'intensifie quantitativement sous l'influence de l'essor économique. Notre contribution s'intéresse précisément à la place et à l'image des marins dans la ville, lesquelles se caractérisent par un paradoxe. En effet, la présence massive de marins (près de 100 000 par an à la fin du XIXe siècle au Havre) atteste du dynamisme de la ville-port et de nombreux acteurs bénéficient directement ou indirectement de l'arrivée de navires et d'équipages. Le port étant le poumon économique de la ville, les marins restent logiquement indispensables à sa bonne santé. Toutefois et malgré l'importance de leur rôle, la littérature, locale ou non, entretient de fortes représentations. Les marins constitueraient une nuisance dans l'espace public et leur présence à terre resterait problématique. L'ensemble des représentations liées à la difficulté de les contrôler prévaut alors assez largement dans les esprits.
Aussi, s'il serait erroné de nier les problèmes que suscite la présence à terre de milliers de marins, et nous y reviendrons, nous examinerons la distance qui existe entre les représentations et la réalité afin de préciser davantage la place des marins dans la ville. Notre démarche sera dynamique dans le temps afin d'en cerner les principales évolutions. Pour beaucoup d'observateurs, le marin représente l'altérité et cela alimente les représentations : il n'est pas tout à fait comme les autres. Pourtant, à la faveur des mutations de la navigation et du renouvellement des populations maritimes, les marins se rapprochent progressivement des terriens et leur ‘‘marginalité'' s'estompe. En effet, l'intégration à bord de nouvelles professions liées notamment au fonctionnement des machines ou au service hôtelier élargit socialement et géographiquement le recrutement des équipages et produit une grande hétérogénéité parmi les gens de mer. Pourtant, d'un regard terrien, l'uniformité reste souvent de mise, ne tenant pas compte des évolutions profondes de l'univers maritime.